Janvier 2003
Au moment où je commence ce témoignage, je ne suis pas encore implantée. Je vais être opérée le 12 février 2003 à l'hôpital Purpan de Toulouse.
Je m'appelle Christine et j'ai 36 ans.
J'ai entendu normalement jusqu'à l'âge de 14 ans. A partir de cet âge, et jusqu'à 30 ans, mon audition n'a cessé de baisser. Assez rapidement au début, plus lentement par la suite. A 16 ans, j'ai eu mon 1er appareil auditif, car il devenait de plus en plus difficile de suivre au lycée, les journées étaient fatigantes et se terminaient très souvent par des maux de tête. En fait, à ce moment-là, j'avais déjà une perte bilatérale de 60 %. Lorsque je suis allée en cours pour la première fois avec mon ACA, cela a été miraculeux, je comprenais tout, très clairement et sans l'aide de la lecture labiale.
A 18 ans, du fait de l'évolution de la surdité, j'ai fait l'acquisition d'un second appareil. Je portais des intras, mais j'ai dû assez rapidement passer aux contours, plus puissants. Aux alentours de 23-24 ans, ma perte auditive était de 90 %. J'entrais donc dans le clan des sourds profonds. Mais je me débrouillais encore assez bien. Avec la lecture labiale, je comprenais encore et je téléphonais aux proches.
Malheureusement entre 25 et 30 ans, une nouvelle chute auditive a énormément compliqué les choses et là, ce fut très dur : compréhension très médiocre malgré la lecture labiale et plus aucune compréhension au téléphone. J'ai connu des chutes auditives plus grandes, mais celle-ci fut la pire. La différence entre une perte de 90 % et une perte de 95 % est énorme. Les ACAs assument toujours leur rôle d'amplificateur, mais, comme à la base, il n'y a plus grand chose à amplifier, le son transmis au cerveau n'a plus aucune netteté, c'est une "bouillie" sans relief, inintelligible.
Nous n'avons jamais pu déterminer la cause de cette surdité, et aucun parent, proche ou lointain, à ma connaissance, ne souffre du même problème.
Lorsque ma surdité est devenue très lourde, il y a donc 6 ans, aucun professionnel ne m'a parlé de l'implant cochléaire. Mon ORL refusait même de m'en parler lorsque je lui demandais son avis là-dessus. Il me répondait toujours que ce n'était pas pour moi, que je me débrouillais très bien avec mes ACAs ! Quand j'en ai parlé à mon audioprothésiste, même réaction... Les ORLs ne pratiquant pas l'implant sont visiblement très ignorants de cette technique, mais au lieu de reconnaître leur ignorance, ils préfèrent affirmer que l'implant cochléaire n'est pas du tout efficace. Et même lorsqu'on les informe des témoignages très positifs d'implantés, ils restent sur leur position.
Ces professionnels ne se rendent absolument pas compte de la difficulté qu'ont les sourds profonds d'évoluer dans la vie et surtout de la souffrance et de l'angoisse générées par une évolution irrémédiable de la surdité. Ils tiennent des propos complètement irréalistes du genre : "pourquoi pensez-vous que vous allez tout perdre ?", alors que cela fait 15 ans non stop que la surdité évolue ! Mais aussi : "avec des ACAs numériques surpuissants, vous vous débrouillerez vraiment bien". Les audioprothésistes et ORLs ont tendance à idéaliser les ACAs. Ces appareils sont en effet très performants actuellement mais pas pour les sourds profonds !
On se doute bien que si j'ai consulté à l'hôpital de Toulouse pour un bilan d'implantation, ce n'est pas grâce aux encouragements de ces gens-là. J'ai d'ailleurs vu mon ORL juste avant ma consultation à Toulouse et il m'a dit : "allez consulter si vous voulez, mais ne croyez pas qu'on va vous implanter, vous !". Il faut être très motivé pour, malgré ces avis négatifs, prendre rendez-vous dans un centre d'implantation. Sans les témoignages découverts sur ce site et ma participation au Forum Implants, je n'en serai pas là ! C'est dire l'importance de témoigner ! Je pense malheureusement aux gens qui n'ont pas accès à Internet et qui, du fait de l'incompétence de leur ORL, continuent à se morfondre dans leur vie de sourd profond ! Espérons que cela change !
Depuis 7 mois, je vis au rythme de mes rendez-vous à l'hôpital de Toulouse, consultations avec le professeur, l'orthophoniste, la psychologue, l'anesthésiste, examens divers : test au promontoire, PEA, scanner, IRM. Cela semble long mais finalement, le temps passe assez vite.
Évidemment, je ressens un peu d'angoisse à l'approche de l'opération. Mais il faut penser à tout ce que cela peut apporter : une communication facilitée, çà n'a pas de prix ! Ma perte auditive est actuellement de -95 db à droite et -104 db à gauche. Toute ma compréhension dépend de la lecture labiale. L'orthophoniste la trouve satisfaisante, mais c'est loin d'être suffisant pour communiquer. Si la personne est de dos ou de profil, si elle a une moustache, si elle bouge, si elle n'articule pas (cas très fréquent), si on n'est pas concentré, s'il fait sombre, etc, la lecture labiale ne sert plus à rien ! Et en plus, c'est très fatigant !
La suite........ après l'opération !
Mars 2003
C'est fait ! Nous sommes en mars, et voilà une vingtaine de jours que j'ai été opérée par le Professeur Fraysse. Tout s'est très bien passé.
La veille de l'opération, sur le chemin de l'hôpital, l'angoisse est bien présente. Le matin de l'intervention, on me réveille très tôt, plus de 2 heures avant l'opération ! Heureusement, je n'ai pas eu le temps de penser, on m'a donné 3 petits cachets qui m'ont plongée dans le sommeil après avoir pris ma douche ! Donc, je n'ai aucune conscience du fameux départ pour le bloc, et je ne m'en plains pas !
Le réveil. Première sensation : un bruit de sirène côté opéré. Pourvu que çà ne dure pas, je n'ai jamais connu un acouphène aussi sonore ! Ensuite un peu de douleur, ce qui est normal après une opération. Je me dis "çà y est, c'est fait, ouf !". Je touche mon bandage pour en être sûre, je gratte, et surprise ! j'entends le grattement !
On me ramène dans ma chambre. L'après-midi se passe plus ou moins bien, je suis très fatiguée et j'ai mal, l'infirmière décide de me refaire le bandage qu'elle trouve beaucoup trop serré. Soulagement immédiat. Je refuse mon plateau-repas, aucun appétit, par contre une grosse envie de dormir, ce que je fais... Dans la nuit, je me réveille et je demande à me lever, aucun problème pour cela, je tiens bien sur mes jambes, aucun vertige, pas de nausée. Par contre, je n'entends plus du tout le grattement. Je précise que je faisais cela par simple curiosité. J'étais prévenue que les restes auditifs seraient détruits et cela ne m'afflige donc pas.
Le lendemain de l'opération, je suis en forme. Je me lève très facilement et suis moins fatiguée. Je ressens toujours de la douleur et l'acouphène est très fort, amplifié par les mouvements du buste. On me fait une radio qui montre que tout est parfaitement en place. Je mange et, dans l'après-midi, je descends et monte les escaliers du 1er étage au RDC sans aucun problème. Je passe une nuit assez bonne, malgré de fréquents réveils dus à un peu de douleur. Ces douleurs ne sont pas insurmontables et atténuées par des antalgiques.
Le surlendemain, c'est différent, je me sens épuisée et je passe une bonne partie de la journée à dormir.
Troisième jour, en fin de matinée, on m'autorise à rentrer chez moi. Il fait très froid dehors, et j'ai 3 heures de route en voiture. En arrivant chez moi, le soir et le lendemain, la fatigue est intense et la douleur ravivée. Mais je suis quand même contente d'être rentrée. Peut-être un peu tôt, mais j'avais le choix de rester 1 ou 2 jours de plus.
Au fil des jours, la douleur, la fatigue et l'acouphène s'estompent. C'est réellement 12 jours après l'opération que je n'en ai plus senti les effets. Le 9e jour, les points sont enlevés, tout va bien, plus de bandage ! Et la cicatrice est invisible, derrière l'oreille.
Suite à un problème de planning, le délai entre l'opération et le 1er réglage est très long pour moi : 6 semaines. En temps normal, à Toulouse, le 1er réglage se fait au bout d'un mois. Ma meilleure oreille a été opérée, et je reste donc pendant cette période dans le silence presque total. J'appareille l'autre oreille pour entendre un peu de bruit, mais elle est très faible et les conversations se réduisent à l'essentiel.
Malgré cela, le temps passe vite, la vie ne s'arrête pas pour autant, je travaille, je me promène, etc... J'ai une grande confiance dans l'implant. Je n'ai pas une seule fois regretté ni douté, ce que pourtant je redoutais pendant cette période d'attente au cours de laquelle je dois me passer de ma "bonne" oreille.
Les résultats avec l'implant seront peut-être longs à venir, qui sait ? Mais ils arriveront, j'en suis certaine, et je n'avais pas grand-chose à perdre de toute façon. Appareillée, cette "meilleure" oreille ne me permettait de comprendre aucun mot sans lecture labiale.
Dans une quinzaine de jours, je repars à Toulouse pour mon 1er réglage. En plus de l'envie d'entendre, j'éprouve une immense curiosité. Car malgré tous les témoignages que j'ai lus, je ne parviens toujours pas à m'imaginer "comment on entend avec un implant" !
Je le saurai bientôt et j'en ferai part, bien entendu...
Je suis très heureuse d'écrire la suite de ce témoignage car tout s'est passé parfaitement bien, mieux que ce que j'osais imaginer !
24 mars 2003, 8 h 00
Dans quelques minutes, je vais être "branchée". J'ai peur, je crains d'être déçue, que çà ne marche pas.
Mais tout fonctionne et après un 1er réglage du processeur, un Nucleus Esprit3G, quelle surprise tous ces bruits bizarres !
J'entends des glous-glous très forts, mais qu'est-ce que c'est ? J'interroge du regard l'orthophoniste et je comprends que ces bruits sortent de sa bouche ! Je ne saisis pas un mot et cela me fait rire, car j'ai l'impression que c'est une poule qui parle. Le fou rire me prend et je sors dans le hall d'entrée me calmer. Il y a plein de bruits, tout est bizarre, je suis perdue ! Mais calmée... et je rejoins le bureau de l'orthophoniste pour commencer la rééducation.
Sur une feuille, sont écrites plusieurs phrases et on me les lit dans le désordre. Ne me demandez pas comment je comprends, je ne sais pas, mais JE COMPRENDS et je répète presque tout sans lecture labiale ! Au bout d'1 heure, plus une erreur ! Donc, on passe... au téléphone ! Déjà ?! Le trac... 7 ans sans téléphoner ! Même exercice : tout va bien ! J'ai l'impression de rêver, quel soulagement !
Évidemment, même si les voix claires entendues dans un milieu calme sont perçues, les bruits sont très déroutants. Par contre les petits sons aigus sont déjà d'un naturel incroyable. Au jardin public, je reconnais le pépiement des oiseaux, le bruit d'une petite cascade... Quelle émotion, après toutes ces années sans percevoir ces sons ! J'ai l'impression de refaire partie du monde.
Quand je sors dans Toulouse pour déjeuner, c'est une cacophonie complètement irréelle, un autre monde... Cependant, je sais que çà va s'arranger et les débuts sont prometteurs.
25 mars 2003
Le lendemain, les exercices se compliquent car ce que je dois répéter n'est pas écrit sur une feuille mais tout se passe bien, c'est environ juste à 90 % ainsi qu'au téléphone.
26 mars 2003
le réglage est affiné et on me laisse repartir chez moi pour 15 jours.
Pendant ces 15 jours, les progrès sont fabuleux, dans la compréhension des voix, de TOUTES les voix ; les bruits environnants deviennent plus naturels. Je redécouvre les petits bruits (clignotant de voiture, touches du clavier, etc...) que je ne percevais plus depuis longtemps. Les sons qui me posent le plus de problèmes sont les bruits graves forts et ma voix, que je ne reconnais pas.
11 avril 2003 (3e réglage)
On active de nouvelles électrodes. Puis rééducation orthophonique. Je comprends bien. Le son est plus riche, plus d'informations me parviennent, je dois m'habituer. Les paroles sont assez sifflantes et cela gêne un peu la compréhension. Mais au fil des jours, le cerveau s'habitue et 10 jours après, ce problème de sifflement a disparu.
1 mois 1/2 après le branchement
Je me sens si à l'aise avec mon implant que j'ai l'impression de l'avoir depuis longtemps. J'ai parfois la sensation qu'il s'agit d'une vraie oreille ! Dans de bonnes conditions d'écoute, je suis épatée par la clarté et le naturel de ce que j'entends ! Dans le calme, je comprends tout ce qu'on me dit sans gros effort et sans lecture labiale dans beaucoup de cas. L'écoute de la musique commence à devenir très agréable.
Je pensais que j'entendrais des sons très synthétiques, que, homme ou femme, je ne ferais pas la différence. Et non ! Je saisis bien toutes les particularités des voix. Avant l'implant, j'avais besoin d'une grande concentration et d'une lecture labiale intensive, c'était épuisant. Depuis l'implant, je me sens moins fatiguée. En voiture, si je conduis, on peut me parler, car même avec le bruit du moteur et sans lire sur les lèvres, je comprends ! Avec un casque, je peux regarder la TV sans sous-titrage, surtout les débats, documentaires. Pour les films, c'est plus difficile, mais cela va s'améliorer.
J'ai encore des progrès à faire, d'autres réglages (le prochain fin juin) et je dois retrouver confiance en moi, mais déjà, la vie est plus facile ! Évidemment, il m'arrive encore de faire répéter et de ne pas reconnaître certains bruits. Mais c'est tellement supérieur comparé à ma perception avant l'implant, qui était quasiment nulle !
Aujourd'hui, je ne redoute plus l'avenir comme avant, avec cette crainte du silence total. Avant mon implantation, je me disais qu'un jour je ne pourrai plus entendre mon fils et qu'on ne pourrait pas avoir de longues discussions ensemble plus tard. Triste perspective... Maintenant, je n'ai plus ce genre d'inquiétude. Et c'est énorme !
Alors, toute l'équipe du servie ORL de l'hôpital Purpan à Toulouse a ma gratitude ainsi que tous ceux qui ont témoigné avant moi et m'ont convaincu de tenter cette aventure (Sophie L, Catherine, Marc, Sylvie...).
A tous les sourds profonds ou totaux qui souffrent de leur handicap, n'hésitez pas à prendre le même chemin, cela en vaut vraiment la peine.