Pendant 20 ans, j'ai été entendante d'une seule oreille, celle de gauche. Puis, pendant une décennie, ma capacité auditive a diminué, avant de perdre totalement l'ouïe pendant plusieurs années. Heureusement, grâce à une chirurgie réussie d'implant cochléaire, j'ai partiellement retrouvé mon audition.

Photo Sophie Guirand

 

Implant cochléaire : une première tentative sans succès

Entre mes 20 et 33 ans, j'ai connu de sérieux déclins auditifs, accompagnés de crises vertigineuses liées à la maladie de Ménière et d'acouphènes. J'ai alors appris la lecture labiale avec une orthophoniste et j'ai dû changer fréquemment de prothèses auditives, optant pour des modèles de plus en plus puissants.

En 2011, à l'âge de 33 ans, face à la dégradation de mon oreille gauche après ma grossesse, j'ai décidé de tenter une intervention sur mon oreille droite, qui n'avait jamais fonctionné (je ne sais pas pourquoi). La situation était complexe : je souffre d'une maladie rendant mes os fragiles (maladie des os de verre ou ostéogénèse imparfaite). Malheureusement, l'opération n'a pas été concluante. La stimulation auditive se dispersait dans la cochlée, il a fallu éteindre des électrodes et baisser l’intensité de stimulation me permettant seulement d'entendre des bruits forts, tels qu'une porte qui claque. Cette première tentative, bien que non fructueuse, m'a toutefois familiarisée avec le processus.

 

Une nouvelle implantation réussie

Au début de 2023, j'ai décidé de retenter l'expérience médicale du côté gauche. Ayant perdu toute audition, je n'avais rien à perdre, et cela en valait la peine.

Exposé ainsi, cela peut sembler simple, facile et une évolution positive ! Je ne saurais dissimuler ma fierté quant au chemin parcouru. En cette rentrée, quelle satisfaction de pouvoir inscrire mon numéro de téléphone sur tous les documents scolaires de mon fils en sachant qu'ils peuvent me contacter, que je répondrai et que j'entendrai !

Je demeure une personne en situation de handicap, une réalité qui perdurera tout au long de ma vie, il n’y a pas de baguette magique. L'acquisition de l'audition grâce à un implant cochléaire requiert des mois de rééducation et une grande résilience pour accepter que certaines journées soient plus favorables que d'autres.

Maintenant, vous vous demandez peut-être si je fais toujours appel à des sous-titres (que ce soit à la télévision, au téléphone ou en visioconférence) ? La réponse est bien souvent affirmative. Toutefois, je suis capable de prêter une oreille attentive pendant un moment, tout en faisant fonctionner ma suppléance mentale. Je me permets même de m'amuser des accents et des tics de langage qui échappent aux sous-titres automatisés ou écrits par vélotypie. J’ai aussi un micro portatif que je clipse sur mon interlocuteur et qui me permet de l'entendre parfaitement.

Pendant quelques mois, j'ai consenti à prendre du recul, à nager à contre-courant, à hésiter et à douter, à me rassurer et à choisir un rythme de vie davantage en harmonie avec mes besoins, compte tenu de ma grande fatigabilité due aux efforts d'écoute. J'ai accepté les éléments sur lesquels je n'avais aucune emprise, telle que la vitesse d'apprentissage de mon cerveau.

 

Des progrès rapides, malgré les acouphènes

Dès l'activation, des fragments de mots m'étaient perceptibles, permettant ainsi l'initiation de ma rééducation, orchestrée conjointement par le CHU et mon orthophoniste. Les premières semaines, c'était comme assimiler un nouveau langage, entendre sans saisir le sens.

Pour ajouter à la complexité de mon parcours, des acouphènes persistants me tiennent compagnie depuis mes 20 ans, me confinant dans un tumulte incessant et silencieux pendant des années. La reconquête partielle de mon audition a été un levier puissant pour transcender cet obstacle supplémentaire et atténuer l'emprise de ce bruit constant.

Cependant, les progrès se manifestaient rapidement. Chaque jour, une curiosité renouvelée m'éveillait, m'incitant à relever des défis quotidiens en intensité croissante. Par exemple, écouter une chanson que j'affectionne, tenter de l'identifier à la radio lors de trajets en voiture (un excellent exercice d'écoute), ou encore écouter la même mélodie interprétée par des voix différentes. J'ai réalisé que même les objets, tels que les portes et les ascenseurs, émettaient des sons parlants.

Au départ, j’avais une prédilection pour les exercices analytiques, où je devais distinguer des sons en répétant une série de mots similaires (comme "bateau" et "gâteau", "masser" et "massue"). 

Les tâches les plus ardues étaient celles où je devais réciter rapidement des textes complexes, phrase par phrase, sur fond sonore (comme la radio). Les exercices qui me divertissaient le plus ressemblaient à un jeu de questions-réponses: écouter une question, la comprendre, y répondre, puis passer à la suivante rapidement. Cela engageait des parties différentes du cerveau. D’autres exercices me rendent dubitative, comme répondre à l'inverse de la réponse correcte. Un autre exercice classique consistait à écouter et répéter tout en griffonnant simultanément ou en effectuant une tâche simple. Ces exercices ajoutaient une contrainte cognitive supplémentaire, nécessitant écoute et compréhension simultanées.

Les textes étaient particulièrement difficiles, car ils m'obligeaient à renoncer à la suppléance mentale (deviner sans entendre chaque syllabe) au profit de ma perception : il fallait comprendre chaque date, nom propre et terme technique inconnu.

Pour le moment, il m'est impossible de regarder la télévision avec le volume normal (sans utiliser mon implant directement), et il est difficile de suivre une conversation entre deux interlocuteurs qui ne s'adressent pas directement à moi.

 

Une rééducation assidue pour une vie enrichie

Néanmoins, j'ai remporté des victoires. Après six mois, j'ai réussi à passer mes premiers appels téléphoniques, un accomplissement qui me rendait extrêmement fière. Parfois, j'écoute de la musique pour me concentrer (préférant des morceaux doux et inconnus) ou je mets un podcast pour m'endormir.

Les professionnels de la santé m'ont affirmé que la rééducation était devenue mon "métier" à part entière et que je m'appliquais avec autant de sérieux. Je dois admettre avoir tout essayé : tenter d’apprécier la musique baroque dans une église lors de la Fête de la Musique, passer une soirée dans un établissement musical, reconnaître le chant des oiseaux, développer un goût pour les nouvelles musiques et les podcasts (y compris découvrir Spotify !), Tout cela dans un désir ardent de rattraper le temps perdu et d'étancher ma soif de progression.

Une bonne récupération est d’environ 70 mots répétés par minute, j’en suis à plus de 130. J’ai atteint la quantité d’audition nécessaire pour entendre toutes les fréquences au niveau de la voix.

Ce résultat dépasse largement mes espérances (mon chirurgien et moi-même avions maintenu nos attentes à un niveau très prudent), car il était peu probable que cette intervention réussisse. J'avais appris à accepter mon handicap pour mieux le surmonter.

L’acceptation de ma surdité puis cette année 2023 m'ont apporté une nouvelle dimension, me permettant de mener une vie enrichie, me procurant une palette d'expériences plus vibrantes… En somme, une existence augmentée.

 

 

Sophie

 

Témoignage publié le 17/11/2023