Le rôle du coach

En français on dit l'entraîneur, mais au féminin ce mot a une consonnance plutôt péjorative, c'est pourquoi je me considère le coach de mon mari !

 

Avant l'ère de la pénicilline, mon mari a eu plusieurs otites qui lui ont progressivemnt detruit l'oreille gauche qui finalement est devenue inutile depuis 25 ans ; quant à son oreille droite, suite à un choc psychologique elle s'est éteinte elle aussi ,il y 3 ans, il avait à ce moment 74 ans .

Implanté à Montpellier, un an plus tard par le professeur Uziel, le 14 février, à la saint Valentin , il n'a pas souffert et un mois plus tard il recevait le contour d'oreille , c'était en 2006 . C'est dès ce moment que mon rôle a commencé ; on nous avait prévenu que la réducation était longue ...

Naïvement nous avions imaginé que ce serait 2 à 3 mois peut être ... En fait tout dépend de la personne et aussi de son degré d'exigence . Il faut prendre en compte sa situation passée ; une personne qui n'a jamais entendu ou qui à perdu l'audition depuis très longtemps, est plus vite satisfaite de ce qu'elle entend : elle ne connaît pas les sons réels ou ne s'en souvient plus ; tandis que celui qui du jour au lendemain perd l'oreille, et entend un an après des sons issus d'un appareil, est très surpris ,

Heureusement, progressivement les sons s'affinent et sont moins métalliques ; mais après 2 ans de rééducation je ne peux dire s'il retrouvera les sons comme avant , même s'il s'en approche de plus en plus par des entraînements quotidiens et surtout grâce à la technique qui prochainement lui apportera 120 canaux au lieu des 16 actuels ; et qui sait quels progrès ne fera-t-on pas encore dans l'avenir ?

Le jour où il a reçu le contour d'oreille ,mon mari est sorti de hôpital les larmes aux yeux, il m'a dit

  • «  ce que j'entend est épouvantable, c'est un bruit de casserole, l'opération est ratée , je suis pire qu'avant »

J'ai essayé de lui dire qu'il fallait attendre un peu, qu'il devait s'y habituer .....

Environ une demi heure plus tard en arrivant à Palavas où nous avions rendez-vous avec Audrey l'orthophoniste, j'ai eu l'impression qu'il avait compris un mot . Il ne savait pas lire sur les lèvres,mais il parvenait souvent à deviner les phrases courantes que je lui disais, car nous sommes mariés depuis 50 ans ! C'est ainsi que d'heures en heures je l'ai vu évoluer , je lui parlais en glissant parfois un mot inhabituel , et de plus en plus il comprenait ; mais dès que nous sommes entrés dans le bureau d'Audrey, et que j'ai constaté qu'il ne parvenait pas à distinguer les voyelles, j'ai compris le gouffre qui nous séparait du résultat espéré !

Dès notre retour à la maison, j'ai résolu de lui servir de coach ! Chaque jour pendant une demi heure, voire une heure, nous nous sommes astreints à refaire tous les exercices faits à Palavas et à le coter comme l'orthophoniste. Après les voyelles, ce sont les consonnes ,ensuite des petits mots dits de face, finalement de côté ; j'ai continué en écrivant des mots de consonnances assez proches : peau, pot, pont, pan ,peu, poux, pin ou gant, gueux, gui, goût,gond gain .....au début il avait la liste devant lui et devait repérer les mots, après il devait simplement répéter ,sans liste ; après plusieurs semaines ce fut au tour de phrases simples avec toujours le principe d'une liste et après quelques jours ou semaines ,sans liste , finalement je lui ai lu ,en me plaçant derrière lui, un livre d'enfant , avec des phrases pas trop élaborées, qu'il devait chaque fois me redire .

Après un an nous avons décidé qu'il devrait apprendre à lire sur les lèvres pour se débrouiller en cas de panne ou comprendre un minimum lorsqu'il est dans la piscine : chaque jour nous avons alterné la lecture labiale et les exercices d' audition, maintenant nous en sommes à l'écoute téléphonique ! Nous appliquons toujours le même principe : liste de mots: couleurs ,légumes ,fleurs, arbres etc... , liste de phrases, conversation courante du genre , « cet après- midi nous irons faire des courses, nous achèterons du sucre...... » ensuite la même chose, mais sans liste .

Il est impératif de parler de choses usuelles avec des mots simples, mais à plusieurs syllabes, et surtout éviter les mots isolés, courts ou qui se ressemblent comme : « je peints un pin «  il est préferable de dire «  je dessine un arbre ... »

Je refuse un appareil spécial car il doit pouvoir se débrouiller partout avec n'importe quel téléphone, je constate que si les débuts sont parfois très décevant, après beaucoup d'efforts, il est récompensé .

Nous allons commencer à écouter de la musique . Il entend bien le rythme, parfois il reconnaît des airs qui sont assez typés ; même si la mélodie est souvent insupportable, le piano passe mieux que le violon ou le violoncelle ! Une soprano, pour lui c'est une voix grave, une voix d'homme....Il devra essayer peu à peu de retrouver une mélodie acceptable .

La radio : chaque matin il écoute pendant une heure les informations ; au début c'était plus ou moins un mot par-ci par là, pas toujours exact, ensuite un soupçon de phrase, maintenant, c'est souvent une phrase complète ; mais je dois toujours confirmer, car la différence entre le négatif et le positif peut prêter à confusion ! Par ex.:  «  il y a bien . »  ou « il n'y a rien . » .......

Quant à la télévision, le télétexte aide, mais lorsqu'il s'agit du journal télévisé, c'est en décalé, incomplet, bref incompréhensible !

Sur les conseil d'un « confrère d'oreille «  nous avons installé une boucle à induction ; cela consiste en un cable qui fait le tour du plafond , dissimulé sous une corniche assortie à la décoration de la pièce, et un appareil spécial, fourni par un orthoprothésiste ; c'est un net progrès et permet, par ailleurs d'améliorer l'audition générale par l'entrainement à l'écoute .

 

Parfois je compare sa récupération à celle d'un aveugle qui commence d'abord à voir en flou, en noir et blanc, et puis les contours se précisent peu à peu, ensuite les tons apparaissent délavés, puis plus contrastés ; finalement l'aveugle peut commencer à voir des détails ......sans être capable déjà d'enfiler une aiguille !

 

Il est nécessaire d'évoquer le problème du bruit : lors d'un dîner, d'une réunion, dans la rue, dans une grande surface, en tous lieux publics ..... le rôle du coach est important, car s'il faut l'inciter à oser les affronter avec en prime l'assurance d'un lendemain pénible avec des acouphènes d' enfer ! ... ses mauvaises humeurs, et son irritabilité enclenchée par la fatigue due aux efforts constants ; au début de la rééducation, l'attention soutenue qu'implique l'écoute faisait que la soirée à peine commencée, il sécroulait et devait faire une pause à midi ; maintenant, à deux heures du matin il reste encore assez bien attentif au verbiage des autres !

 

Le coach doit aussi l'encourager à reprendre le volant ! La crainte de ne pas entendre les sirènes de police ou d'ambulance l'avait paralysé ; j'ai insisté en prenant soin d'être aussi attentive que lorsque je suis moi-même au volant ; il ne faut surtout attirer l'attention sur un danger par des paroles ou des cris .... voici notre exemple vécu, je pourrais dire survécu .....

On venait d'installer un nouveau stop ; j'ai remarqué qu'il ne l'avait pas vu ; je lui dis vivement : « stop! . » .... il a continué et s'est arrêté vingt mètres plus loin et m'a demandé posément :  « qu'est ce que tu disais ?. »  avec des sueurs froides retrospectives je lui répondu « je te demandais de respecter le stop ! »

 

Les batteries de l'appareil ont une durée, chez lui de sept heures, celles de douze heures sont trop lourdes pour lui, il ne les porte que rarement ; tenant compte de ce fait, il lui arrive souvent pour une sortie l'après -midi d'oublier de la changer ou d'en avoir une de réserve sur lui ! Le système de batteries rechargeables n'est pas très pratique et c'est aussi très encombrant pour voyager ! Il faut s'en satisfaire, c'est quand même beaucoup mieux que rien !

 

Ce problème de batterie peut se présenter au volant : surtout garder son calme et toujours avoir la main gauche prête à signaler un stop, un excès ou un changement de vitesse, et en cas de problème , de risque d'accident ; qu'il ait ou pas de batterie il est IMPERATIF de toujours signaler avec la main, de ne jamais parler, car il risque de ne pas comprendre, de tourner la tête et alors c'est l'accident assuré!

Le coach a un rôle important : il doit toujours parler lentement, clairement, en articulant bien, répéter parfois trois, quatre fois la même chose avec des mots similaires, ne jamais s'énerver, malgré que cet effort soit fastidieux à la longue, il faut persévérer, être tenace ; le coach doit se rendre compte que lorsque l'implanté est absorbé par une activité, il « oublie » de commander à son nerf auditif d'être attentif au bruit, donc il redevient sourd !

Il me reste à parler des acouphènes . Toutes les occasions de contrariétés ou de fatigue sont idéales pour les déclencher.... il suffit d'un changement de temps, le ciel qui devient gris : il n'aime pas ce temps, alors il est de mauvaise humeur et c'est parti pour des acouphènes ..... Parfois aussi le fait d'enlever l'appareil, comme il n'entend pas, cela crée des acouphènes . Cela lui occasionne des moments de crise terrible... des périodes d'idées très noires également .

Malgré tous les obstacles à surmonter on peut croire en l'avenir, car les efforts sont payants, et le résultat en vaut vraiment la peine, même si l'on ne peut espérer retrouver une ouie aussi parfaite que la naturelle . Le confort apporté par la médecine et la technique sont formidables et rendent la vie nettement plus agréable ; bien sûr, au début on lui parle d'abord lentement, de face, avec des mots simples ....l'implanté est comme un bébé qui vient de naître qui doit apprendre à écouter les bruits, ensuite les mots et les phrases ;

Je ne puis qu'encourager tous les implantés à se faire aider d'un coach, c'est un atout majeur pour le succès, et surtout ne pas croire en une réussite rapide . Après vingt mois d'efforts nous voyons un énorme progrès et pourtant nous nous rendons compte que ce n'est pas encore fini, que des améliorations sont possibles,qu'il faudra peut-être encore un, deux, voire plusieurs années à y travailler : on n'a rien sans effort, c'est le nerf auditif qu'il faut apprivoiser !

 

Huguette François

un coach tenace