Du bruit au son ; du MSP Cochléar au Nucléus freedom…

 

 

Face à une prothèse auditive 

Du bruit au son ; du MSP Cochléar au Nucléus freedom…

Le téléphone

Ce 12 mars

 

Face à une prothèse auditive

 

Je suis devenu sourd sévère le 18/04/1989 : j’avais quarante neuf ans…

A l’occasion d’un accident de la circulation qui a provoqué un poly traumatisme « 14 fractures dont 6 crâniennes » parmi lesquelles, les deux rochers.

 

Pendant Deux ans et demi, j’ai vu mon audition se dégrader ; peut-être le traitement à l’aspirine pendant un an n’y a-t-il pas été étranger. Mais mon généraliste ne savait pas tout, qui peut l’en blâmer ? Pas moi, en tous cas…

 

Ont suivi six mois de surdité totale pendant lesquels j’ai tenté d’apprendre la lecture labiale pour laquelle je n’ai jamais eu beaucoup de tendresse : elle mobilise trop d’attention, on passe à côté du reste.

 

Et puis je me suis retrouvé à l’hôpital Saint Antoine, à la merci de la  science du professeur Meyer : je m’en félicite encore. Et pourtant, la  patience de cet homme a été mise à rude épreuve : je n’étais pas un cas  facile à résoudre.

 

Pendant l’examen pré opératoire, celui au cours duquel Mr Meyer essayait la réactivité de mes nerfs auditifs, j’ai un peu affolé le personnel. L’anesthésie légère enlève la douleur, mais aucunement la sensation : je ressentais toutes les phases de la pénétration de la sonde. Malheureusement, j’ai voulu faire bénéficier mon épouse, qui assistait, de mes impressions ; alors, je décrivais la progression de la sonde… Ce que je n’avais pas remarqué, c’est qu’il y avait un scope qui, justement, montrait cette progression. Pensant que je paniquais, une des assistantes a vivement détourné ce témoin qui, à son idée m’inquiétait. La pauvre fille n’avait rien compris, je me régalais, et la disparition de l’image n’a rien changé pour moi.

 

En fait, ce qui fait tout le brio du chirurgien, à mon sens, c’est cette capacité d’explorer, sans rien détruire, un organe presque anéanti, auquel il ne reste que son infinie fragilité, ou presque.

 

Ma conclusion, que je n’ai pas pu m’empêcher d’exprimer, c’est que ce  boulot était un bricolage de génie : le chirurgien s’en est amusé, les gens moins compétents étaient outrés.

 

L’implantation elle-même n’a pas été facile, car les cals osseux post traumatiques, il a fallu les limer pour installer l’implant. Monsieur Meyer m’a avoué avoir perdu vingt minutes pour cela : moi, je m’en moquais bien, du fond de ma narcose. Cet « ajustage » de l’os a rendu plus longue la cicatrisation et les plaies osseuses sont très douloureuses, quoi qu’il y paraisse.

 

Enfin, on m’a mis ce truc sur l’oreille; ayant lu que les implantés n’entendent pas immédiatement, mais doivent « réapprendre », je m’attendais à entendre des bruits incompréhensibles, mais j’ai tout de suite compris ce que me disait ma femme, avec laquelle je me suis entretenu un bon quart d’heure avant que l’on vienne me confisquer mon baladeur. J’ai lu quelque part que l’apprentissage de ce truc équivalait à l’apprentissage d’une langue étrangère ; dans mon cas, cela est archi faux : j’ai tout de suite entendu du français. Mais j’étais peut-être un cas particulier, devenu sourd à un âge où on maîtrise la langue, de plus, électronicien de formation, j’avais vingt ans de phonie derrière moi. Eh bien, dans mon cas, cet appareil est une radio plus ou moins bonne selon l’environnement, mais qui parle français !

 A suivi une période très pénible et que je prétends tout à fait inutile pour mon cas particulier, de leçons d’orthophonie. Je résidais en banlieue, chez ma fille et, trop souvent, je me retrouvais dans la circulation démente de cette région que j’ai alors appris à détester.

 

Ce que j’attendais de cet appareil, c’est qu’il me sorte de mon isolement, et lui, il a rempli son rôle dans la limite de son efficacité, mais aussi de ma disponibilité. Car la compréhension de la parole, ou simplement du bruit, dépend de mon éveil : je suis peu efficace quand on m’adresse la parole à brûle pourpoint. Dans ce cas, les deux premiers mots m’échappent en général : heureusement que les gens parlent souvent pour ne rien dire…je peux souvent me rattraper avec ce que je comprends. C’est là toute l’hérésie de l’expression « dialogue de sourds » : nous, handicapés de la communication, quand nous n’avons pas compris, nous demandons à ce que l’on répète. D’ailleurs, à ce sujet, nous sommes tributaires de la capacité de l’autre à s’exprimer ; si les gens s’entendaient vraiment parler, avec le recul nécessaire, ils se rendraient compte qu’ils ne s’expriment pas distinctement. Et j’ai conscience qu’il m’aurait fallu des séances d’orthophonie : non pas pour entendre, mais pour m’exprimer, car je sais bien que je parle mal.

 

Mais, être attentif, je sais à quel point cela est nécessaire, je suis en aréflexie presque totale, et le simple fait, pour moi, de marcher, requiert toute mon attention. Et là, la sanction est bien pire que de ne pas entendre : j’ai fait trois séjours à l’hôpital pour cause de distraction !

 

J’ai dit ne pas aimer la région parisienne, le rural que je suis foncièrement vomit la bousculade, mais surtout, peu de temps après mon  opération, ma fille chez laquelle j’avais résidé, est tombée malade. Pendant deux ans avec mon épouse, toutes affaires cessantes, nous avons habité chez elle pour essayer de la soutenir, faire en sorte qu’elle conserve son métier et l’estime d’elle-même. Mais le cancer ne pardonne pas souvent, surtout chez les jeunes, je crois, et Pascale a terminé sa vie dans l’horreur de la déchéance.

 

Depuis, la simple idée de revoir tous ces hôpitaux où elle allait, toutes ces rues sur fréquentées où nous devions l’accompagner, me ramène à cette période où j’aurais préféré être mort sans avoir participé à cette course désespérée. Et parfois, on rencontre dans ces situations beaucoup de compréhension et d’humanité ; il me souvient d’une réflexion d’un médecin de Lagny. Pour cet altruiste, nous étions une famille d’angoissés ; ben voyons, à cette époque, nous savions, malgré les silences et les mensonges dont il n’était pas avare, que notre fille n’en avait plus que pour trois mois environ : en fait, il n’y en a eu que deux !

 

Malgré les difficultés, j’affirme que cet implant est une invention inestimable en ce qu’il fait de moi un mal entendant plutôt qu’un sourd.

Il me permet de rester dans mon monde normal, quelles que soient les embûches, je continue ma vie, et n’ai aucune envie d’accéder à la surdité totale, quels qu’en soient la gloire et les délices. J’ai lu, bien sûr, des articles écrits par d’éminents crétins, présidents ou membres d’associations de sourds, mais qui, eux, ne le sont pas. Moi, je leur dis : ce n’est pas en vivant avec des boules quiès que vous saurez ce que représente le fait d’être sourd, ni même en parlant avec nous. Etre sourd, c’est avant tout être anormal et la norme n’est pas tendre avec ses exclus. Sourd, je le suis pourtant, mais je sais d’expérience que je ne sais rien de ce qu’éprouve un aveugle, ni même un autre sourd, car, à chacun sa croix. Je sais que des normo entendants nous soignent, et nous guérissent plus ou moins ; mais ils ne sauront jamais ce que nous ressentons face à notre handicap : c’est notre vie que nous vivons, pas la leur…

 

J’écris ceci suite à ma visite à la CISIC qui m’a fait forte impression : en premier lieu, ces gens sont accueillants et solidaires. Ensuite, ils sont bien plus performants que moi, même ceux qui ont démarré sourds, une vie devenue celle d’entendants ; car eux, ont des possibilités que ne donne pas mon MSP antédiluvien.

 

 

Ils se réunissent entre gens de bonne compagnie, sans s’encombrer d’entendants qui bousillent les contacts en jouant les traducteurs ; mais moi, pourrai-je m’en passer ? Pas en l’état actuel de mon appareil suranné, en tous cas.

 

J’ai appris une chose désagréable : va falloir repasser au trapèze un de ces quatre, moi qui imaginais bêtement que cet implant vivrait autant que le vieil homme que je suis ; voilà qu’on m’a dit qu’il me fallait mourir vite si je voulais conserver mes illusions. Autre bonne nouvelle, ce Meyer que j’aime beaucoup m’a mis un coup de stylet en me disant que l’origine traumatique de mon cas, diminue les chances de succès d’une réimplantation. Ben, depuis, je ne dors pas trop bien, car je gamberge trop ; heureusement que, jusqu’à présent, j’ai toujours eu de la chance dans mon malheur. Alors : CA VA S'ARRANGER.

 

 

Du bruit au son ; du MSP Cochléar au Nucléus freedom… 

 

J’ai été implanté en Janvier 1993, à l’époque, on m’avait dit que j’étais dans les trois centièmes adultes à subir cette opération. Passer de la surdité totale à la perception de quelque chose que je pouvais transformer en information a été une bénédiction. Mais les conditions de la réadaptation n’étaient pas réunies, étant donné que j’habite le Jura, et j’étais traité à Paris. J’assume ma responsabilité, ce sont des parisiens qui m’ont opéré, ils ont fait leur boulot, mais j’ai vécu  très mal l’exil et l’assignation à résidence dans la capitale.              

 

Le hasard a voulu que l’appareil que l’on m’a octroyé soit, par son réglage, parfaitement ou presque, réglé correctement, et adapté à ma perception. J’ai longtemps pensé que mon habitude de la phonie, et de toutes les mauvaises conditions de propagation qu’on rencontre dans cette activité, m’avait préparé à ce qui m’arrivait là. Probablement, mon expérience me rendait plus apte à m’habituer, mais pas seulement. Ce n’est qu’ il y a quelques temps, quand j’ai compris à quel point il était délicat, pour le régleur  « une dame, en l’occurrence », d’ajuster les réglages, que j’ai réalisé que c’est surtout le hasard qui a voulu que j’entende d’emblée.           

 

En fait, celui qui effectue le réglage est un rouage essentiel dans l’adaptation d’un implanté, même si le patient a la capacité d’exprimer son ressenti ; et je crois que c’est très rarement le cas. Je me base sur la satisfaction qu’a montré le régleur à l’occasion de mon deuxième réglage ; il travaillait avec moi, et non en dépit moi. Je veux dire qu’il avait la chance de travailler en sachant ce que je percevais, puisque je savais l’informer. Mais là, outre l’habitude de la phonie, j’avais celle de quinze ans de MSP… Lequel ne m’a jamais fait entendre que du bruit, on s’habitue, bien sûr, et ayant entendu normalement pendant presque cinquante ans, mon imagination enrichissait un peu ce que j’entendais.           

 

Mais je ne recevais rien qui puisse évoquer l’harmonie d’une phrase musicale : la sonorité de cet appareil est désespérément plate. Je me souviens, à Paris une fois, on m’avait fait essayer un appareil  « peut-être MP22 ? » dont on m’avait dit qu’il permettait à certains d’entendre la musique. Mais maintenant, je me rends compte qu’il eût fallu une chance que je n’ai pas eue à ce moment pour que je perçoive quoi que ce soit : l’appareil avait été pré positionné en fonction des réglages de mon MSP, et…ce n’était pas un MSP ! Aucune adaptation à ma perception n’a été tentée , je n’avais aucune chance ; à l’époque on m’avait dit que cela ne marchait pas toujours. Je crois surtout qu’en cette période, les professionnels faisaient ce qu’ils pouvaient et que leurs tâtonnements, à la longue, les ont rendus bien plus efficaces. Pour moi, j’ai un peu essuyé les plâtres, mais je n’étais pas non plus bien impliqué dans les soins auxquels je ne croyais guère.           

 

Je n’y croyais pas car ils étaient très contraignants, m’obligeant à des voyages à Paris dont je ne voulais absolument pas. Les touristes aiment Paris, peut-être aimerai-je y aller en touriste, quoique j’en doute, car je me suis farci les lumières de cette ville pendant trois longs mois, sans beaucoup de plaisir ou d’intérêt. Le fait est que je suis fondamentalement un rural qui s’intéresse plus aux fossiles qu’à l’architecture. Maintenant, tout change, depuis que j’ai gentiment été pris en charge par Besançon ; dorénavant, j’ai envie de progresser, et cela change tout. Et puis, pour le peu que j’aie pu en tirer jusqu’à présent, Nucléus me redonne la sensation du son, presque déjà de la mélodie, car je reconnais les morceaux, je sais même quand le prochain commence ! Je dis cela car, avec le MSP, il m’est arrivé de plus ou moins reconnaître une musique, mais je ne faisais pas la différence avec le morceau suivant…           

 

Ce qui me motive, c’est l’espoir et le sentiment que je peux progresser, me rapprocher de ma perception d’antan ; tout en pensant qu’il ne faut pourtant pas trop rêver. J’ai déjà plein de choses qui me sont accessibles à nouveau, ma voiture n’est pas un tombereau, mais, elle grince un peu dans les ornières, et le téléphone sonne à nouveau, après n’avoir fait que vibrer pendant si longtemps. Il m’avait été dit que ma bande passante avoisinait les 800 Hz, et, franchement, je le croyais, tous les harmoniques étaient éteints, alors, pourquoi pas 800 Hz.Il m’a été prouvé par une dame très déterminée qu’en fait, cette perception s’étend sur 6000Hz, en réalité, et là, étant donné que les mélodies me sont redevenues perceptibles, je n’en doute pas. 

 

Peu à peu, le temps passant, le nucléus m’apporte de petits trucs, sensation de l’effet doppler, la compréhension des explications de documentaires, lorsque l’orateur parle et ne bafouille pas. Mais ces petits trucs, ne rêvons pas : il faut aller les chercher, se concentrer, s’entraîner et…oser espérer. Il existe aussi des aides comme la boucle magnétique ou le blue tooth ; ce sont les choses que j’expérimente actuellement. Bien entendu cela coûte de l’argent quoique personnellement je ne les paie pas, pris en charge au titre d’un accident en service. Mais cette gratuité, cette prise en charge même, me crée une obligation, celle de ne pas en abuser : gaspiller l’argent d’autrui est un grave manquement à l’honnêteté. Ce dont je suis sûr, c’est que je puis entendre un téléphone, il ne me manque que de l’acheter, là, à mes frais, ce serait du confort me dit on ; mais c’est un confort qui devient vite une corvée dont je ne tiens pas vraiment à hériter. Franchement, quand je vois tous ces hallucinés plonger précipitamment la main dans la poche pour retirer ce machin qu’ils portent à l’oreille ; je ne les envie pas, et les plains plutôt. Sans compter que les gens, empressés auprès de leur bakélite, font à ce moment là comme si vous n’existiez plus : vous n’êtes donc pas leur priorité… 

 

Ma petite fille,en deuxième année à Sciences Po après un master en anglais, à cause de ses longues études n’a pas souvent l’occasion de venir me voir ; l’autre jour elle a eu une grosse surprise, lorsqu’elle s’est aperçue que je pouvais discuter en conduisant ma voiture. Auparavant, j’étais parvenu à comprendre le passager avant, en le regardant ; mais maintenant, avant ou arrière, pas de différence notable, pas besoin non plus de me retourner. Et puis, les fêtes de famille pendant lesquelles je me réfugiais dans la cuisine la plupart du temps : autant se rendre utile quitte à être seul. Eh bien, maintenant, je ne fuis plus la tablée ; je demande seulement aux convives de parler moins vite, pas tous ensemble, et pas la bouche pleine. Ben oui, qui donc est le chef chez moi enfin ; chacun son tour de faire la vaisselle !    

 

Quelque chose a changé dans mes relations avec mon épouse unique et préférée. Le téléphone que je fuis avec tant d’obstination, d’une certaine façon, il m’amuse maintenant : lorsque ma femme l’utilise. Avant le Nucléus, elle était bien tranquille, je ne comprenais rien à ce qu’elle racontait dans son micro ; mais depuis, elle fuit ma compagnie lorsqu’elle téléphone. Je suis si heureux de comprendre, que j’interviens parfois pour lui donner mon avis ; elle n’apprécie pas toujours. Mais je ne m’y trompe pas, il y a un peu de fierté et de la satisfaction lorsqu’elle dit aux gens qu’elle ne peut plus dire n’importe quoi devant moi. Il y a cependant encore un effet pervers qui affecte notre relation, elle n’admet plus que je ne comprenne pas et y voit de la mauvaise volonté ; alors que c’est simplement qu’elle a cessé de me parler comme au sourd que j’étais.

 

Le temps passant, l’accoutumance à la perception revient, il m’arrive d’oublier de mettre le sous titrage et, pour peu que j’aie pris la précaution d’adapter mes réglages, je commence à ne plus trop y prêter attention. Mais cela ne vaut que pour les commentaires audibles, quand le commentateur ne bafouille pas, et quand le musicien sourd ne sévit pas. En ce qui concerne ce dernier, c’est une race en pleine expansion ; la télévision emploie de plus en plus de ces perturbateurs qui collent partout une musique tonitruante. Elle est souvent si forte, que, au lieu d’accompagner le commentaire, elle l’occulte totalement ou presque. Mais la télévision n’est pas la seule atteinte de ce mal émettre ; les spectacles faisant intervenir des chanteurs sont aussi perturbés, ainsi que les reportages. J’aimerais beaucoup qu’on revienne à la musique d’ambiance non  «  do décacophonique » ! 

 

Dès qu’on met un peu de musique dans la vie, des choses douloureuses deviennent supportables, et l’humour revient; la sonnerie d’entrée de certains magasins qui m’aurait fait hurler me laisse maintenant indifférent, grâce à ce nouvel appareil. J’avais coutume de dire que je comprenais pourquoi un chien hurle en entendant les cloches : cela lui fait mal, sans doute, comme cela m’était pénible. C’est là la différence essentielle entre ces deux appareillages, l’amélioration de la perception engendre le confort. Il ne me reste plus qu’à attendre d’avoir digéré tout ça, j’arrêterai peut-être enfin de hurler à la mort… Les sourds, m’a dit une spécialiste, sont les infirmes les plus durs et les plus agressifs, j’ai l’impression d’avoir déjà perdu de mon agressivité, sans avoir encore pour si peu acquis la tendresse : et si je n’étais plus sourd quel ange je deviendrais ! 

 

Franchement, ma vie est tout autre depuis que je porte le Nucléus ; je ne puis comparer avec le temps où j’étais entendant, trop de temps a passé. Mais je me sens bien à nouveau en société, avec des moments difficiles malgré tout ; c’est mieux que d’être tenté comme ces derniers temps, de tout rejeter. Disons que, à défaut d’avoir trouvé une vie de rêve, la mienne est redevenue acceptable, grâce à un tout petit truc sur l’oreille, qui va plutôt bien…Je parle de ma vie en société, celle où je côtoie «  les autres », avec leurs oreilles qui entendent sans effort, et leurs dialogues de sourds. Ce que je partage avec ma famille depuis toujours est plus facile à vivre, je ressens que je leur pèse moins. Et ce milieu où j’ai enfin accepté d’entrer, celui de l’implantation ; que ce soit la fréquentation des ex sourds, ou du milieu médical de Besançon, je m’y sens bien…

 

Le téléphone

 

En lisant vos témoignages, je m’aperçois que beaucoup d’entre vous sont ou étaient anxieux de se réapproprier l’usage du téléphone. Pour moi, ce truc est un des maux du siècle, non pas pour son existence ou son utilité intrinsèque, mais par l’usage qui en est fait. Manifestement, nous ne maîtrisons pas l’utilisation de cet instrument, et le laissons nous envahir : à moi, il me pourrit la vie.

N’étant sourd que depuis vingt ans, il est bien évident que j’ai utilisé le téléphone ; mais je me suis toujours méfié de cet engin.

Professionnellement je devais bien l’utiliser, mais mes interlocuteurs qui désiraient s’épancher en étaient en général pour leurs frais ; « c’est à quel sujet… bon, eh bien nous nous sommes tout dit. » Je ne pense pas avoir dépassé les trois minutes de communication, souvent seulement quelques secondes.

Car le téléphone c’est indiscret, si vous n’avez pas la sagesse de l’étouffer de temps en temps, il peut vous tirer de table, vous tirer du lit : en quelque sorte vous emm… Ma femme, qui ne sait pas dire non, se laisse parasiter pendant le repas par ces braves gamins, esclaves de notre civilisation, qui vous vantent les couches culottes pendant l’heure du repas : « c’est très appétissant ! » J’éprouve une détestation particulière pour l’attitude de ces gens qui vous parlent, décrochent, bavardent, et oublient tout simplement que vous êtes là ; moi qui ai une personnalité assez affirmée, il m’est arrivé de planter là celui qui, finalement, n’était plus mon interlocuteur. Ces gens trouvent en général que j’ai mauvais caractère, et moi, je prétends que ce sont des malappris qui manquent du respect le plus élémentaire.

Je reconnais qu’il est possible que quelqu’un attende un coup de téléphone prévu à l’avance, mais en ce cas, il faut prévenir que l’on risque d’être interrompu : autrefois, on appelait cela politesse, ou bien civisme. Il est possible aussi qu’il s’agisse d’une urgence que l’on pardonne volontiers ; mais, la plupart du temps, ce sont des banalités !Le téléphone, c’est à mon avis comme les freins à pied d’une voiture, un instrument de nécessité et de sécurité : si je freine pour autre chose que m’arrêter, c’est parce que j’ai plus ou moins fait une erreur de conduite. C’est un peu aussi, l’histoire de Jean le sot qui appelait tout le temps au loup sans raison, et qui a fini par se faire bouffer ; à moins que ce ne soient ses moutons. Mon ancien appareil, quoique pas très performant, me donnait tout de même accès à cet instrument, mais je n’en ai jamais abusé ; à quoi bon décrocher et galérer pour comprendre…des banalités. Cependant, même les banalités ont leur utilité, mon épouse qui est très liée à certains membres de la famille, passe de longs moments à échanger des petits trucs. Mais cela se passe en général le soir, quand nous sommes au calme, et quand les interlocuteurs savent tous deux avoir le temps : même moi, cela ne me gène pas.

Mais il est évident que notre société avance malgré moi, et qu’on peut être obligé de hurler avec les loups : tout se règle par téléphone, à présent. Mais la mauvaise langue que je suis vous dira tout de même que, celui qui veut hurler avec les loups ne fait le plus souvent que braire avec les ânes. J’ai une folle envie de me réapproprier tous les moyens de communication, mais le téléphone n'est vraiment pas ma priorité!

 

 Ce 12 Mars

 

Pour la première fois depuis vingt ans, ou presque, j’ai eu la sensation de l’effet döppler ; pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit d’une altération de la fréquence émise par un mobile bruyant.

Là, il s’agissait d’une voiture que j’ai entendue venir, elle vrombissait sur un mode plutôt aigu, puis, en s’éloignant, le bruit est devenu plus grave ; le MSP ne me permettait pas de distinguer cela. Il ne faut pas confondre l’augmentation du bruit due au rapprochement ou à l’éloignement, dont seule l’amplitude augmente ou diminue, et l’effet döppler où c’est la fréquence qui varie… Et puis, ces voitures que je n’entendais guère arriver, voilà que je les détecte à cent mètres, simplement à l’audio : les voilà bien moins dangereuses.

Pour vous, citadins, le bruit d’une voiture n’a sans doute pas le même impact, la même signification que pour un rural. D’abord, il ne vous viendrait pas l’idée saugrenue d’emprunter le milieu de la chaussée pour vous promener, mais chez nous, les trottoirs sont souvent remplacés par une berme herbue et glaiseuse qui mouille et alourdit les chaussures.

Franchement, tous ces petits détails qui me rapprochent de ma perception d’autrefois, m’apportent beaucoup de satisfaction. Ma dynamique de vie qui avait tendance à friser le zéro absolu a repris résolument son ascension ; c’est, je crois, ce qui fait la différence entre la banalité et le plaisir !