"Je suis née bien entendante mais un vécu très difficile et une succession d’erreur ont fais de moi une sourde profonde à l’âge de 30 ans."

Bonjour,
Je m’appelle Bornia, je suis âgée de 51 ans, j’habite à Annaba une ville côtière de l’extrême est de l’Algérie. Je suis née bien entendante mais un vécu très difficile et une succession d’erreur ont fais de moi une sourde profonde à l’âge de 30 ans.

Surdité traumatique de l’oreille droite :
A l’âge de 09 ans, dans la ferme où j’habitais chez ma tante, une bête m’assène un coup de sabot en plein visage (joue+oreille droites), elle me laisse pantoise, je verse quelques larmes et puis je ne sens plus rien …, l’incident passe inaperçu. A l’âge de 15 ans, au collège (à l’internat), je m’aperçois de ma surdité droite, du coup je me rappelle le coup fatale, je me rappelle aussi qu’à la même époque j’ai eu des troubles de l’audition mais trop jeune pour pouvoir faire le lien entre les deux évènements, ça reste secret.

Après des études de physique des solides à l’université d’Annaba, une bourse Franco-Algérienne pour formation d’enseignant-chercheur m’est octroyée. Je choisis l’Université Paul Sabatier de Toulouse, après l’obtention d’un DEA dans la même spécialité j’entame ma thèse de doctorat au laboratoire d’optique électronique (actuel CEMES - "la boule"). Sur le point de finir ma thèse, voilà que des idées me viennent à l’esprit d’abord faire le point sur ma surdité droite avant de commettre l’irréparable pour mon oreille gauche.

Le 10 Décembre 1985, je consulte, pour la première fois de ma vie, un ORL, c’est un spécialiste qui m’a été conseillé par l’un de ses patients, un ingénieur au labo. . Après mon conte sur la mésaventure, il me pose quelques questions êtes vous évanouies, avez-vous eu des vertiges…, non rien de tout cela, puis me fait un audiogramme tout en prenant le soin de bien diagnostiquer mon problème, conclusion : surdité traumatique de l’oreille droite avec une transmission osseuse droite gauche (qui semblait me donner 30% d’audition à droite).

Surdité brusque de l’oreille gauche :
Une Surdité gauche qui s’est installée très rapidement dans les suites d’une intervention subie dans une clinique privée à Toulouse le 03 Avril 1986 ,une intervention aussi banale qu’inutile*,. Dès mon réveil j’ai eu une sensation de distorsion des sons, des vertiges, une otorrhée (écoulement de l’OG). Je panique j’ai tout de suite senti la gravité de mon problème, l’ORL de service le lie à une perforation tympanique gauche. Je le revois le 07, cette fois-ci, il me fait un audiogramme, confirme son précédent diagnostic et infirme ma surdité droite ce qui me met en doutes. Malgré que mon audition soit en péril, je me fie à ce diagnostic, la panique des premiers jours laisse place à un calme précaire. Mon audition continue sa chute exécrable. Le 14/04/86, je consulte, enfin, l’ORL que j’ai vu en décembre. la sentence est sans appelle : cophose totale droite et incomplète gauche… Je tourne en rond, je ne savais quoi faire si ce n’est la présence, à mes cotés, de mes Professeurs au labo. et mes amis je me demande ce qu’il serait advenu de moi.
Le17/04/86, une hospitalisation, d’une quinzaine de jours, dans le service du Professeur Lacomme où le traitement associé oxygénothérapie hyperbare (séances de caisson) et vaso-dilatateurs, ce traitement a semblé donné une amélioration. Le 03/05/86, soit 03 jours après ma sortie de l’hôpital de Rangueil, je me baladais seule au bord du canal du midi j’entendais des champs d’oiseaux, je m’accroupis je jetais de petites pierres dans l’eau et j’observais les vaguelettes se propageaient concentriquement puis j’entends un autre bruit je lève mes yeux au ciel c’est un avion de supaéro qui survol la zone à basse altitude ce sont les derniers bruits que j’ai entendu avant d’entrer définitivement dans le monde du silence. Direction Rangueil, le Professeur Lacomme m’annonce l’installation de la surdité et m’oriente vers le Docteur (l’actuel Professeur) Fraysse à Purpan. L’accueil est très chaleureux, ré hospitalisation et reprise du même traitement …Un appareil surpuissant m’est adapté au niveau de l’oreille gauche qui montre une dynamique mais avec une distorsion des sons qui ne me permettait pas une compréhension sans la lecture labiale. Je quitte l’hôpital mais je reste en contact avec le Professeur Fraysse et son équipe, je galère encore un peu, Béziers puis Bordeaux rien que pour faire plaisir à mes Professeurs et mes amis, car je savais qu’on ne pouvait pas me faire mieux que ce qui m’a été fait à Toulouse.
De retour à Toulouse je remet les pieds sur terre, j’accepte mon handicap c’est mon "mektoub"(destin) je ne regrette rien, Dieu Merci. Je prends un mois de vacances puis je reprends la lecture labiale avec une orthophoniste à Purpan, entre temps mon oreille gauche a rendu l’âme, la prothèse ne servait plus à rien. Août 86 le Professeur Fraysse me parle pour la première fois de l’IC.
Ma thèse, elle est mise au placard depuis longtemps, je trouve en moi les ressources nécessaires, je termine sa rédaction et je la soutiens en Juin 87.
Le 20/10/87 je rentre définitivement à Annaba, des questions me taraudent l’esprit notamment sur mon avenir professionnel, mon intégration… Les retrouvailles avec les miens ont été douloureuses, pour leurs éviter trop de peine, je les ai mis au courant peu de temps avant mon retour définitif, ils apprennent en même temps que j’ai toujours vécu à oreille unique il m’en veulent beaucoup.
Le 17/11/87 je suis recrutée en tant qu’enseignant-chercheur à l’université d’Annaba, j’ai mon chez moi je conduis, une bonne intégration professionnelle.

Mon parcours vers l’IC est un parcours du combattant :
Dés l’installation de ma surdité, en août 86, le Professeur Fraysse m’affirme que l’IC est la seule solution pour la réhabilitation de ma surdité profonde, je rencontre même une implantée très satisfaite à l’époque; mais pas de prise en charge alors patience…Suivirent les années 90 l’Algérie est isolée du reste du monde plus question d’IC pourvu que le pays retrouve sa stabilité. Les années 2000, l’Algérie revient de loin ça coïncide avec la généralisation de l’Internet je m’informe sur l’IC, je découvre le CISIC dans ses débuts. Mars 2003
Je m’inscris au forum, depuis, c’est ma seconde famille, même si je ne suis pas connue de ses membres, je trouve des réponses à toutes mes questions. Le Forum m’a été d’un grand soutien.
Le 23/03/03, je me rends à Paris pour un stage à l’ECP. Le 24/03/03 je consulte le Professeur Meyer il me parle des étapes a entreprendre avant l’IC, je sors avec un rdv pour le 02/04 afin de voir le Dr Fugain. Le 29/03 j’assiste à l’AG du CISIC à Saint Antoine, je rencontre Catherine, qui a été reconduite en tant que présidente et d’autres implantés, je suis émue devant la convivialité et l’entraide qui ont caractérisées l’AG.
Le 02/04/03, Dr Fugain absente, le rdv est reporté, j’ai été à la permanence du CISIC, Catherine me remet (en même temps qu’une futur implantée : Marie-pierre Goin) des documents et des adresses de foyers pour hébergement. Le 04/04/03, ce jour là, je vois Dr Fugain, la discussion tourne autour de la prise en charge et des problèmes rencontrés avec les pays maghrébins (Maroc, Algérie, Tunisie), puis Anne Dominique Leveau me remet un devis estimatif concernant mon implantation, ce document chiffré s’avère très important, non pas parce que j’ai pu obtenir une prise en charge avec, mais parce que tout le monde croit mes dires concernant l’implant et son prix exorbitant a commencer par les miens, qui trouvent que je ne fais rien pour sortir du monde du silence, et mes collègues qui sont maintenant décidés a me trouver cette prise en charge derrière laquelle je cours depuis plus d’une décennie., notamment mes deux collègues et ancien camarades Baki et Hafid.
Le 13/09/03, j’apprends, par médias interposés, que deux implantations ont eues lieu à Alger (c’est une première), je contacte aussitôt le service en question. Décembre 2004 je fais un bilan pré- implantation, je frémis à la lecture du rapport de l’IRM (…évocateur d’une maladie démyélinisante sclérose en plaque (SEP)), ce qui me conduit au service neurologie, la neurologue consultée me fait un complément d’analyse et donne le feu vert pour mon implantation. Mes déplacements entre Annaba et Alger fatigants et infructueux s’achèvent le 17/02/2006, ce jour-là, le chef du centre d’implantation d’Alger me remet un nom avec un numéro de téléphone qu’il dit du vendeur d’implant!!! Une façon de se débarrasser d’un cas qu’il dit délicat. Epuisée et irritée par tant d’injustice j’abandonne toute initiative ou plutôt je la laisse à mes collègues.

L’implant il faut le vouloir pour l’avoir, je ne l’ai pas seulement eu,…"il est venu à moi".
Le 31/03/07 une journée fériée pour cause " El Maould Ennabaoui "(naissance du prophète qsssl), je me reposais dans mon village natal, situé à 01 heure de route d’Annaba, vers 12h15’ le téléphone sonne ce sont mes collègues qui me demande de venir d’urgence au CHU d’Annaba.
Je m’exécute très vite, mon grand frère conduit et mon jeune demi-frère se met à l’arrière, il recevait des appels…On arrive en même temps que trois collègues en plus des deux cités plus haut il y avait Mme Hannoune, présidente du CNES. Dans l’après-midi, on assiste à une conférence animée par Samia Labassi responsable des réglages Med-El. A la fin de la conférence-débat on se dirige vers le Professeur Saïdia chef de service ORL et DG des hôpitaux d’Annaba, Mme Hannoune, nous présente et termine par Hadef est totalement sourde, il lui faut une prise en charge, le Professeur Saïdia, que je ne remercierai jamais assez, me regarde étonné (il me voit pour la première fois) et déclare : "une prise en charge à la prochaine cession qui aura lieu à la mi-Avril". Justice m’est rendu, j’ai patienté pendant 20 ans, Dieu m’a récompensée nous nous a-t-il pas recommandé patiente.
Les 03,04et05/04/07 j’ai subit les test pré implantation (pas d’IRM), le 07/04 rdv avec la psychologue et l’orthophoniste, "psychologiquement vous êtes un parfait implantable" me rétorque la psy à qui j’ai demandé de ne rien faire qui puisse entraver mon implantation.
Hospitalisation le 09/04, je passe une nuit je vois un ORL et l’anesthésiste, ayant la chance d’habiter à 15 minutes de l’hôpital, je suis autorisée de quitter, rdv est pris pour le vendredi 13.
Jour J-2: dés mon arrivée au CHU une discussion à bâton rompus se lance avec une jeune ORL : récapitulant, me dit-elle, l’OD n’a presque pas entendu il faut donc préféré l’OG mais elle est dépourvue de tympan, il fallait d’abord greffé un nouveau tympan avant d’envisager l’implant. Je lui confirme que c’est ce qu’on m’a toujours dit mais des Profs, en Algérie, m’ont affirmés que les deux opérations se feront en même temps… Et la SEP, ajoute t-elle, elle risque d’altérer le nerf d’ici 10 ans. Que risquai-je, lui dis-je, laisser moi entendre pendant ces 10 ans. Elle conclut en me disant que mon dossier sera étudié, dans la soirée, par une équipe Franco-Algérienne, sur ce elle me souhaite bon courage et je regagne ma chambre avec des doutes, des doutes jusqu’au bout, l’inquiétude de ne pas être implantable me gagne, il ne me reste qu’a prier.
Jour J-1 : le Professeur Saïdia, accompagné de l’ORL de la veille (elle était toute sourire), vient dans ma chambre me rassurer que je serais opérer le 15.
Jour J : 08H descente au bloc, je suis opérée par un professeur Français** assisté par un professeur Algérien l’opération s’est bien déroulée : en plus de la pose de l’implant (OG) il procède à l’exclusion de l’oreille moyenne, abîmée par des infections répétées, en la comblant de graisse, bouché le conduit externe et le suturé***. A 14H, mi-réveillée, je pose ma main doucement sur ma tête trop lourde, et oh ! Surprise je découvre un bandage, je relève tout de suite ma main au ciel: "louange à Dieu, Dieu merci", quel bonheur je suis bel et bien implantée, ma joie est indescriptible.
Le lendemain de l’opération, je n’ai ni douleur ni vertige, sereine je circule dans le couloir puis je reçois beaucoup de visite, la matinée : Professeurs, jeunes ORL et des curieux qui ont suivi l’opération retransmise sur écran géant, l’après-midi ce sont les miens et mes amis collègues, on jubile…certains pleurent de joie.
Le 18, jour prévu pour ma sortie de l’hôpital, j’ai le visage enflé du coté implanté, normale c’est la graisse qui intègre mon anatomie, je doit séjourné 03 jours de plus. Le 21 l’infirmière en chef me remet ma carte de porteur, je connais enfin la marque de mon implant c’est un Digisonic SP. Les agrafes sont enlevés le 25/04, la cicatrice est petite (juste derrière l’oreille plus un trou de 2mm de diamètre situé à environ 2cm au dessus).

Le 21/05, une régleuse de chez Neurelec effectue le branchement, j’entends d’abord des bips-bips, viens ensuite la séance fatidique où il faut choisir le niveau confortable puis sans m’avertir elle me branche, je fronce les sourcils : ce que j’entends sont bien les paroles de la régleuse qui converse avec l’audiomètre et l’orthophoniste ! ce sont des pépiements d’oiseaux. Le test s’arrête là, mon processeur je ne l’aurai que le lendemain.
Le 22/05, j’ai enfin mon processeur réglé, je regagne ma chambre, j’entends le bruit de : mes pas, grincement des portes, l’eau qui coule du robinet doucement…Je quitte l’hôpital, une ambulance passe, j’ai une sensation de billes (comme le décrivent, si bien, certains sur le forum), j’arrive à la voiture : klaxon, tic-tac clignotants, alerte sonore de non bouclage de la ceinture de sécurité. Je rentre chez moi très joyeuse, je reçois la visite de trois amis collègues, ils voulaient partager ma joie qui est aussi la leur, je leur montre mon "joyau", puis je leur fais part de tout ce que j’entends. Le lendemain je rentre au village et là c’est la liesse…
Les vacances je les consacre à ma rééducation, la motivation est à son comble, mes progrès sont palpables.
Le 25/06, 2ième réglage, il a lieu dans la soirée pour cause de retard d’avion, les paroles sont claires, je répète tous ce que me dit la régleuse et une ORL en arabe(sans L.L.), je ne rate qu’une seule petite phrase (la fatigue a eu raison de moi après 12 heures d’attente), mais vous entendez" s’exclame t-elle(la régleuse) et enchaîne"vous allez vous améliorer vite" je lui répond: "in chaa Allah".
Je démarre sur les chapeaux de roues. Je suis émerveillée: réentendre après 21 ans de surdité et aussi clair dès le 2nd réglage, je n’en reviens pas. J’entends, quasiment tous ce qu’on me dit dans le dos, je converse dans l’obscurité, tous les bruits ont gagnés de netteté et d’amplitude, que d’émotion et que de larmes versées à l’écoute (avec un casque TV) du coran, d’anciennes chansons que j’écoutais autrefois… Le téléphone je n’y pense pas, je n’ai pas voulu brûler les étapes, le 21/07 ma nièce m’appelle, j’étais dans un milieu assez bruyant, d’abord je fais la sourde oreille, puis excédée par son insistance, je prends mon portable le porte à mon oreille et le couvre de mes deux mains, quelle fut mon étonnement j’entends ce qu’elle me dit, je lui fais répéter rarement deux fois, une autre fois elle m’appelle, cette fois-ci, j’étais dans un endroit calme pas le moindre doute j’entends très clair, gonflée par ces expériences j’appelle mon demi-frère, là ce n’est pas aussi facile, sa voix est grave, le message passe mais difficilement.
Le 06/08, 3ième réglage, dans la salle de réglage il m’a semblé bien entendre je répète tout ce qu’on me dit, j’ai, même été filmé (avec mon accord bien sur), deux jours après je constate que j’ai pris les graves forts et les aigus moyens. J’entends grave et fort …, c’est épuisant pour mon cerveau, les murs d’une pièce exiguë ou des couloirs, réfléchissant les ondes sonores des paroles me renvoient leurs écho ce qui rend la compréhension difficile, je désenchante un peu. Je continue, tout de même, ma rééducation, je progresse pas mal. Le 01/09, c’est la rentrée mes collègues sont abasourdis de me voir entendre pour certains, réentendre pour d’autres et converser avec aisance.
Le 04/09, 4ième réglage, le son est plus fin. Le prochain réglage est prévu après le Ramadan, a propos Ramadan j’entends l’adhan (l’appel à la prière et à la rupture du jeune) avec "mon" oreille et je me presse de le dire aux autres.

Mon implantation est un véritable succès, je converse avec une, deux et même plus si l’ordre est respecté, j’écoute la radio sans problème, le téléphone je n’abuse pas car mes tentatives ne sont pas toutes couronnées de succès : je prends mes rdv, je téléphone aux miens, et quelques amis (es), la TV il faut se placer très prés du poste sinon un casque fait l’affaire.
Je reprends confiance en moi en moi, je découvre de nouvelles sensations, c’est une renaissance vraiment
Sur le plant professionnel, l’implant m’ouvre de nouvelles perspectives, car si ça marche bien côté enseignement il n’en est pas de même pour la recherche, je compte, "in chaa Allah", multiplier les stages et avancer sur ce plan même si je sais que je ne rattraperai jamais les vingt années perdues. Il y a quinze jours j’ai assisté à une soutenance de Doctorat, j’ai écouté avec plaisir les interventions des membres de jury, j’ai senti à quelle point j’été loin d’un domaine censé être le mien.

Je terminerai ce témoignage en vous disant qu’à la fin des années 80 le Professeur Fraysse, me prédisait une grande réussite où cas où je suis implantée, si un jour je le verrai, je lui dirait : "que je suis implantée 20 ans après et c’en est une".