Suite a mon accident, après deux ans de mal entendance qui s’aggravait de jour en jour,j’ai fini par ne plus rien recevoir. J’ai alors décidé de me faire implanter car je n’acceptais pas ce silence total quoique tonitruant. Les gens normaux s’imaginent sans doute que la surdité n’est pas bruyante, que le silence est total : ce serait peut-être trop beau mais je n’en suis pas sûr. Car nous sommes fondamentalement attachés à notre environnement sonore, il nous accompagne, nous enveloppe et nous rassure…

Les acouphènes étaient venus remplacer peu à peu l’information, mais eux, n’ont rien de rassurant, car on les sait issus de nous même, et qu’ils ne portent pas d’information décryptable.

 

Dès que je suis devenu sourd profond, ma voix  a descendu en fréquence, celle que je ne percevais plus, je ne la produisais plus non plus : je crois que les cordes vocales correspondantes ont du se figer. Les hautes fréquences semblent être les premières à disparaître, sans doute à cause de leur localisation dans la cochlée. Pendant cette période, celle des contours d’oreilles, j’avais trouvé une astuce pour conserver la musique à ma portée ; c’est un appareil bien connu des « musicos », l’équaliseur. Il s’agit d’un filtre « passe bandes de fréquence » avec lequel je corrigeais la musique, augmentant le volume dans mes zones faibles de réception.

 Et puis, une autre chose est apparue pour laquelle je n’avais pas plus d’explication que les médecins auxquels je demandais conseil. Bien entendu, on m’a donné des remèdes, mais pour soigner quoi ? Cette chose était un raclement de gorge fréquent, et douloureux à la longue ; je viens de comprendre, au bout de vingt ans, et parce qu’il a disparu spontanément, sans le moindre sirop.

Je me raclais la gorge car elle était irritée, et elle s’irritait parce que je hurlais : pas au vrai sens du mot, mais ma voix était devenue caverneuse. Donc, ce problème était lié a la diminution de ma tessiture, à son « écrêtage », disons… Et ce malaise a perduré tant que je n’ai pas entendu la musique, jusqu’à il y a à peu près dix huit mois, quand j’ai changé d’appareil. Une chose que je ne sais pas, c’est si le MSP diminuait ma bande passante résiduelle qui est de 6000 Hz avec Nucléus.

 

La musique, à laquelle j’ai à nouveau accès n’est pas celle que j’ai connue autrefois, quand je chantais du matin au soir, pas seulement sous la douche. A cette époque, ma préférence allait à la chanson à voix, l’héroïque comme le rêve passe, ou les trompettes d’Aïda ; mais je n’écoutais pas aussi souvent l’opéra que le jazz ou la soul music.

Maintenant, je me désintéresse un peu de la chanson, les paroles ne passent pas parfaitement, le mot m’échappe parfois, et la sensation est un peu frustrante ; alors, Mendelssohn, Brahms, Mozart, je m’y mets peu à peu. Là encore, il manque quelque chose, mais la musique est plus une sensation globale qu’un sens précis où chaque détail est essentiel à la compréhension. Je pense qu’un musicien qui me lirait serait choqué, mais la démarche m’est purement personnelle : j’exprime seulement mon ressenti, sans souci de rigueur technique.

Ce qui m’échappe dans la grande musique, ce sont souvent les attaques, quand le volume sonore est faible et la fréquence élevée. Je pourrais sans doute pallier à cela en « équalisant », en favorisant les signaux faibles et aigus « dito » ; mais ce serait dénaturer le morceau. Je pourrais aussi gonfler le volume général, mais les temps forts deviendraient carrément explosifs, au risque de me détruire l’oreille si abîmée déjà…

            La voix m’intéresse maintenant en tant qu’instrument de musique ; en particulier dans l’opéra, elle est utilisée parmi d’autres, non pas pour pousser la chansonnette, mais pour créer l’émotion sonore. La voix ne me raconte plus, elle me suggère les choses de façon beaucoup plus profonde, viscérale, même : j’écoute avec tout le corps et pas seulement l’oreille, la musique et la voix sont devenues ambiances.

            Disons donc que ma sensation d’autrefois appartient au passé, à ma période entendante avec une oreille parfaite. Mais, ce temps là n’étant plus, je dois rechercher l’émotion qui est encore à ma portée, comme doivent le faire tous ceux qui me ressemblent ; en particulier, cette amie implantée aussi, née sourde, qui a su, bien avant moi ce qui allait m’arriver. C’est elle, aussi qui a fait en sorte que j’y croie, que je me découvre d’autres ressources et  que je me mobilise : je ne nommerai pas ce tyran en communication !

J'ai passé vingt ans à refuser ce que j'étais devenu, un sourd ; vingt ans à éviter tout contact avec ceux qui souffrent de ce handicap, disons vingt ans à me leurrer. Car c'est bien entre nous que nous trouvons la solution, chacun par son vécu peut apporter à l'autre une solution.

Cependant, je ne dois pas être aussi restrictif, on ne doit oublier personne : si je suis devenu capable de faire avec ce qui reste, c’est grâce au matériel qui va mieux, à ceux qui le créent, et ceux qui le mettent en place, mais encore à ceux qui prennent le temps de le régler : sans l’aide de toutes ces personnes, je hurlerais encore pour me protéger des bruits insupportables et odieux que la musique m’apportait, pour le sourd que j'étais, en entendant ce qui est enfin redevenue une mélodie. Elle est redevenue musique pour le malentendant qui s'accepte tel qu'il est depuis ce changement d'équipement...

 Je redécouvre des styles déjà connus, mais aussi de nouveaux genres, j’ai adhéré à cette écoute, même imparfaite. La qualité d’écoute passe par de nouveaux appareils hi-fi numériques plus performants, et autonomes, je ne peux que m’en réjouir, encore faut-il s’y adapter.

Quels que soient mes progrès, je dois bien admettre qu’en général , il m’est impossible de suivre une conversation avec plusieurs personnes. Malgré tout, certains groupes sont capables d’intégré un malentendant ; ce sont des gens qui ont compris ce que veut dire communiquer… Lorsque communiquer devient impossible, il est bon de pouvoir évacuer la frustration qu’engendre notre isolement.  Il m’apparaît que la musique dans laquelle je puis maintenant m’isoler, est un bon refuge, parmi d’autres activités en solo.

C’est là que je m’aperçois, qu’il est à mon tour, d’être disponible pour me faire comprendre et d’aider mes semblables pour une conversation. Auparavant je ne savais pas qu’ils pouvaient être en souffrance d’être isolés puisque moi, j’entendais... Je ne parle pas à un malentendant comme je parle à tout un chacun : disons que la façon de s’exprimer, dans notre société est très laxiste et je reste fondamentalement un entendant.

 Mais quelle chance j’ai de me remettre sur les rails !

 

Christian